by Anne Bertucci

Explorer sans danger

Des bambins qui s’élancent depuis une tyrolienne. Des filets arrimés à un mât pour grimper tout en haut. Des toboggans pentus pour de longues glissades… Les aires de jeux pour enfants ont bien changé. De plus en plus fréquemment intégrés à des projets plus vastes d’aménagements paysagers, ces sites cultivent le goût de l’effort, la curiosité, une forme de prise de risque (très) contrôlée.

A l’image du « jardin tout terrain » réalisé par l’agence BASE (Bien aménager son environnement) à Paris dans le quartier de Belleville. Une référence en la matière. Balançoire, bacs à sable et tourniquet restent incontournables. Cependant le petit square clôturé s’ouvre, cédant le pas à des terrains de jeux aux apparences chaotiques équipés de murs d’escalade, de cordes lisses et autres parcours d’équilibre. Le tout dans une expression formelle plutôt abstraite afin de laisser libre cours à l’imagination des enfants.

Le grain de sel des artistes

Comme le souligne Clément Willemin, paysagiste chez BASE, cette conception actuelle trouve ses origines dans l’après-guerre : « En Allemagne, dans les villes frappées par les bombardements, les enfants s’amusaient sur les sites en ruines qui par la suite ont été réaménagés à cet usage . » Et ces « Spielplatz » ont fait école… Dans les

années 60-70, artistes et designers se sont investis dans ce type de projets, notamment au cœur des grands ensembles et des villes nouvelles. En France, le duo d’artistes Les Simonnet a proposé des structures colorées et modulaires qui semblent avoir un lien de parenté avec les girondes « Nanas » de Niki de Saint-Phalle. Aldo Van Eyck au Pays-Bas, et Theodor Sorensen au Danemark ont renouvelé le genre en introduisant des structures géométriques abstraites dans les parcs pour enfants, amenant ainsi la notion de territoire de jeux.

Souhaits éducatifs

Partant d’une réglementation complexe, les concepteurs parviennent aujourd’hui à garantir la sécurité tout en titillant ce sens de la découverte. A Belleville, ce point de vue répondait aux souhaits des habitants du quartier associés à la conception du parc via un processus participatif. « Notre projet a été sélectionné car il mettait prioritairement en avant l’idée de « prise de risque ». Or, ce point arrivait en tête des souhaits des habitants et parents. », relate Clément Willemin. Ce qui correspond à une orientation éducative marquée de notre époque : la recherche d’autonomie…

Les parcs urbains dernière génération préfèrent donc une géographie à une architecture. Avec du relief, de la pente, des végétaux, comme un paysage. Un petit monde de perceptions à arpenter… Les motifs figuratifs sont remplacés par des éléments de suggestion. Exit le bateau pirate ou la maison de poupée. Les cabanes comme celle réalisées par deux jeunes architectes de Tel Aviv, Deborah Warschawski et Ifat Finkelman pour le playground du musée d’Israël, semblent flotter autour des arbres. Ils deviennent des supports à l’imaginaire et aux scénarios que les enfants adorent dérouler seuls ou à plusieurs. Malmenées par l’énergie de nos minots, ces aires ont une espérance de vie limitée. Ça, c’est immuable. Une quinzaine d’années tout au plus. Le temps d’une génération d’enfants et de parents.

Anne-Élisabeth BERTUCCI

21/01/2015