Au rythme actuel, l’équivalent de la surface d’un département français est artificialisé tous les sept ans. Cela signifie que ces terres agricoles sont accaparées par des routes, des zones commerciales ou industrielles ou encore des lotissements. Les communes rurales captent en effet près du tiers des constructions de logements individuels : une part qui croît depuis vingt ans. Quant aux logements collectifs, s’ils restent plus ancrés dans les aires urbaines, ils sont construits désormais davantage dans les couronnes périurbaines que dans les centres-ville. Résultat : la distance moyenne des constructions neuves par rapport aux centres-ville s’établissait à 12 km en 2010 et continue d’augmenter dans presque toutes les grandes villes.
Cet étalement urbain a de nombreuses conséquences néfastes : il participe à la perte de terres agricoles de qualité, éloigne les habitants des centres et des services publics, allonge les temps de transport, favorise l’usage de la voiture et porte atteinte à la biodiversité.
LA VILLE, MORCEAU DE NATURE
Il faudrait donc plutôt densifier la ville. A condition toutefois de le faire d’une façon supportable pour les citadins et l’environnement. Couvrant désormais 8% du territoire national, les villes ne sont plus quantité négligeable pour la gestion globale de la biodiversité : les espèces végétales et animales doivent pouvoir transiter et s’implanter librement dans le tissu urbain. Ainsi, les trames vertes et bleues prévoient de préserver et parfois même restaurer des îlots de nature et des corridors écologiques dans les villes. Celles-ci sont d’ailleurs devenues, à certains égards, un milieu finalement plus favorable à nombre d’espèces que les campagnes exploitées sur un mode intensif. C’est le cas pour de nombreux insectes et oiseaux décimés par les pesticides.
Cette biodiversité concourt aussi à la sauvegarde des fonctions écologiques en milieu urbain : épuration de l’eau et de l’air, lutte contre les îlots de chaleur, amélioration du cadre de vie… Pour cela, il faut agir partout, localement, lors des opérations d’aménagement, de construction et de rénovation, dès la conception des projets. Toits et murs réellement végétalisés, modes de gestion écologique des eaux de pluie et des eaux usées, perméabilité des clôtures, gestion écologique des parcs et jardins, qualité des sols urbains, implantation d’abris et, bien sûr, utilisation de matériaux bio-sourcés tels que le bois, ou le béton de chanvre dans la construction : autant de microdécisions qui peuvent permettre à la ville d’être à la fois suffisamment dense pour permettre de résoudre la question du logement sans aggraver l’étalement urbain et d’être aussi une trame pleinement vivante et vivable. Bénéficier d’espaces verts dignes de ce nom par exemple pourrait convaincre les amoureux de la nature de rester en ville et de supporter l’habitat collectif.
CHANGER DE REGARD
Ces bonnes habitudes nécessitent un changement de regard des citadins et un renforcement des compétences des professionnels. Elles obligent en particulier à revenir sur la culture française du béton et, surtout, impliqueraient une démarche pensée en amont par les maîtres d’ouvrage. Or, la participation systématique d’un écologue – ou, à défaut, d’un paysagiste avisé – aux projets de constructions nouvelles reste un horizon lointain.
Le problème est d’autant plus aigu que l’affaire ne concerne pas seulement le neuf – qui ne représente que 1% du parc immobilier chaque année – mais surtout la rénovation de l’ancien. Rendre la ville transparente à la biodiversité tout en la construisant sur elle-même reste donc un véritable défi… Auquel s’attaquent toutefois de plus en plus de collectivités.
Manuel Domergue et Sandra Moatti
Alternatives économique N° 327 septembre 2003